En matière de ressources humaines, on s’accorde aujourd’hui à penser que le bien-être au travail est bénéfique à tous les acteurs de l’entreprise – employés et employeurs –, donc à l’entreprise elle-même, et plus largement à l’économie dans son ensemble. Pour espérer un impact réel sur l’innovation et la productivité par exemple, il faut certes aménager un cadre de travail agréable et sûr, mais aussi mettre en place de véritables stratégies managériales.
Bien que le concept de bien-être au travail semble limpide, il peut être utile d’en fournir une rapide définition. En 2007, le CIPD (Chartered Institute of Personnel and Development) en donnait l’interprétation suivante : «Le bien-être, ce n’est pas seulement éviter de tomber malade physiquement. Il s’agit plus largement d’une notion bio-psycho-sociale qui inclut la santé physique, la santé mentale et la santé sociale. Les employés qui se sentent bien sont physiquement et mentalement capables d’apporter leur contribution à leur travail, désireux de le faire, et probablement plus impliqués dans celui-ci.»
Cela suppose de ne pas se limiter à aménager l’environnement physique et culturel avec la seule ambition d’éviter des nuisances au personnel. Il est nécessaire de mettre en place des organisations propres à l’aider activement à se sentir au mieux de sa forme physique et mentale, car cette approche a un effet à tous les niveaux, aussi bien sur le lieu de travail qu’en dehors. Le lieu de travail devient alors plus productif, plus attractif et plus collectivement responsable. Le bien-être au travail rejaillit aussi positivement sur la communauté locale et même, plus largement, le pays tout entier, car les personnes qui se sentent bien ont moins recours aux services de santé.
Une approche holistique du bien-être au travail
À partir du postulat selon lequel les initiatives en faveur du bien-être au travail doivent trouver l’équilibre entre les besoins des personnes et ceux des affaires, le CIDP envisage la contribution à l’amélioration du cadre de travail comme le fait de « créer un environnement favorable à un état de contentement qui conduise chaque personne à s’épanouir et à réaliser son plein potentiel pour son propre bénéfice et celui de l’organisation où elle œuvre ».
L’approche, qui se veut globale en incluant les aspects physiques et sociaux du bien-être, accorde un statut tout aussi important à la santé mentale, notamment en ce qui concerne la capacité à supporter l’inévitable stress de la vie sans être freiné par lui dans son propre développement ni dans son apport à la communauté. Car il faut savoir que dans le top 5 des causes les plus communes aux absences de longue durée (chiffres de 2015, Simplyhealth & CIPD), le stress arrive largement en tête pour les professions intellectuelles avec 58 % (49 % pour les professions manuelles, touchées quant à elles par les accidents ou maladies invalidantes à 53 %, contre 51 % pour les professions intellectuelles). Et si les troubles squeletto-musculaires (à l’exclusion du mal de dos) affectent « logiquement » plus les travailleurs manuels avec un taux de 50 % des causes d’arrêt de longue durée les plus fréquentes, contre 38 % pour les professions intellectuelles, la dépression clinique et l’anxiété mettent hélas tout le monde à égalité avec respectivement 48 et 49 %… Quant au mal de dos, cinquième du top, il afflige à 43 % les travailleurs manuels et à 32 % les non manuels.
Les autres causes d’arrêts de travail prolongés répertoriées sont, par ordre décroissant d’importance, les blessures ou accidents hors du lieu de travail, plus fréquentes chez les travailleurs manuels, les maladies récurrentes comme l’asthme ou les allergies, qui voient les deux catégories quasi à égalité, tout comme elles le sont pour les « petites maladies » : rhumes, problèmes digestifs, migraines… Suivent les accidents du travail, qui concernent davantage les professions manuelles, les absences liées à la grossesse (hors congé maternité) et celles imputables à des responsabilités professionnelles, familiales ou domestiques, où l’on constate un taux légèrement supérieur des professions intellectuelles, les problèmes d’addiction (alcool et drogue), dont le taux est très faible voire inexistant pour les arrêts de longue durée, et enfin les arrêts-maladie de longue durée « pour convenance personnelle », pratique où les professions intellectuelles l’emportent avec une avance sensible.
La synthèse de cette enquête incite donc à s’interroger tout autant sur les causes relevant clairement d’un « mal-être » comme le stress, la dépression clinique et l’anxiété que sur la composante psychologique de maladies d’apparence plus « physiques » comme le mal de dos. Les organisations doivent prendre en compte l’ensemble de ces causes affectant gravement la force de travail de l’entreprise pour mettre en place des interventions appropriées en matière de santé et de bien-être.
Les cinq domaines pour appréhender le bien-être au travail
Cette approche holistique du bien-être a conduit à l’identification de cinq domaines concernés par cette question : la santé, le travail, les valeurs et principes, la vie collective-sociale, et enfin la croissance personnelle. Chaque domaine ainsi isolé peut être envisagé sous l’angle des meilleures pratiques.
#1 – La santé
En ce qui concerne la santé et la sécurité physiques, on préconisera par exemple la promotion d’une saine hygiène de vie et des examens de santé, des pratiques de rééducation adéquates, l’aménagement en faveur des personnes vivant avec un handicap, l’apprentissage des bons gestes ou la sensibilisation et l’entraînement du personnel à la sécurité. Pour ce qui est de la santé mentale, on se réfère bien sûr aux pratiques de gestion du stress et d’évaluation du risque mais aussi à la formation à la résolution des conflits ou encore à la mise en place de programmes d’assistance aux salariés.
#2 – Le travail
Dans le domaine « travail » est évoquée la nécessité de mettre en place des postes de travail ergonomiques et de promouvoir une culture d’entreprise ouverte et accueillante. En matière de management, il est recommandé de se doter de véritables politiques managériales du bien-être incluant la préparation sérieuse des managers aux divers aspects que recouvre cette notion et la prévention des absences liées à la maladie. L’activité du salarié doit être clairement définie tant du point de vue de la contribution attendue que des horaires de travail, lui apporter satisfaction et ne pas empiéter sur le temps et l’énergie qu’il est légitimement en droit de consacrer à sa vie privée. On doit veiller à lui laisser suffisamment d’autonomie et de contrôle sur son travail pour qu’il se sente en capacité d’innover, tout en privilégiant un management qui repose sur la communication, la participation et la responsabilisation. Pour ce qui est de la rétribution financière et de la reconnaissance du travail accompli, la politique salariale, juste et transparente, constitue un premier versant du « retour sur investissement » du personnel, l’expression de gratitude pour son implication et la qualité de sa production étant son corollaire.
#3 – Les valeurs et principes
Le domaine des valeurs et principes implique une définition claire de la mission et des objectifs, une gouvernance d’entreprise ainsi que des relations de travail basées sur la confiance. Des valeurs éthiques universelles comme le respect de la dignité, la responsabilité sociale de l’entreprise, l’investissement collectif et le volontariat revêtent une importance cruciale. L’intégration de la diversité, la valorisation de la différence, l’engagement culturel et la formation sont autant de tremplins pour accéder à un mieux-être commun.
#4 – La vie collective
Le volet collectif et social met en avant l’importance de la parole des salariés par la communication, la consultation, le dialogue sincère, l’implication et la prise de décision. Le management est orienté vers l’établissement de relations positives, saines et respectueuses entre tous, ainsi que vers la promotion du travail d’équipe.
#5 – L’épanouissement personnel
Enfin, l’aspiration la plus élevée de l’être humain que constitue sa réalisation et sa croissance personnelles tient une place de choix dans la politique de bien-être au travail. L’évolution de la carrière, par exemple, s’appuiera sur le développement de pratiques de tutorat, de coaching, de management de la performance, d’utilisation des talents et de planification de la relève. Du point de vue émotionnel, outre les relations positives, on se proposera de favoriser l’accès de chacun aux moyens de sa résilience et on lui assurera le bien-être financier. L’apprentissage tout au long de la vie est quant à lui affaire de plans de formation et d’accès auxdites formations, d’évaluations en milieu de carrière, d’apprentissage non seulement technique et « utilitaire » mais répondant également aux centres d’intérêt spécifiques des personnes ainsi que de tâches stimulantes pour éviter l’ennui et le désintérêt. Enfin, la culture de la créativité et de la collaboration passant par des ateliers d’innovation se présente comme l’une des meilleures garantes de l’épanouissement personnel.
Comme on le voit, en matière d’établissement de conditions propices au bien-être au travail, la tâche est vaste et multiforme mais passionnante, et le jeu en vaut la chandelle.